Le projet présenté consiste à porter un regard sur notre actualité marquée ces deux dernières années par une forte prégnance des discours sur la crise : sanitaire, économique, sociétale, écologique, etc. Parmi les pistes explorées pour la dépasser, un lieu commun émerge : dans la difficulté, on est plus fort à plusieurs que tout seul. Le management stratégique des compétences considère la compétence collective comme une des ressources-clés que les organisations ont intérêt à mobiliser pour traverser une crise. Nous confronterons cette approche à celle de la philosophe Hannah Arendt qui, en développant une pensée de la crise originale, en vient à la situer au coeur de l'action collective. La problématique traitée sera de savoir s'il est concevable qu'un collectif, lui-même en proie à la crise, soit une arme face aux turbulences traversées ponctuellement par une organisation. Nous poserons les limites du management stratégique de crise en nous appuyant sur l'approche évènementielle proposée par Arendt. Elle ouvre sur une lecture de notre historicité qui, par analogie entre l'espace managérial et l'espace politique, apporte un autre regard sur le rôle des compétences collectives dans les situations de crise.

Les dernières années ont vu la généralisation, jusqu'à l'exagération, de l'usage du mot crise : sanitaire, politique, sociétale, énergétique, économique, etc… La crise est partout et touche tous les domaines de nos vies, appelant à de multiples diagnostics, pronostics et appels à mobiliser toutes les armes dont nous disposons. Une des illustrations marquantes est restée le discours guerrier, prononcé par le Président de la République le 16 mars 2020, qui proclamait, au coeur de la crise du Covid-19, « nous sommes en guerre », en appelant à l'entraide, à la solidarité, comme d'autres avant lui proclamaient l'Union Sacrée. Une des armes souvent évoquées face à une crise, c'est la force du collectif. Nous connaissons tous ces adages : « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », « 1+1=3 », etc... Ils alimentent l'idée selon laquelle le groupe est doté d'une compétence spécifique qui le rend plus apte à faire face à une situation qu'un individu tout seul. Les discours accompagnant les pratiques managériales vantent sans fin les vertus du team-building, de l'intelligence collective ou du travail collaboratif. Les recherches en sciences de gestion ont élaboré depuis une vingtaine d'années le concept de compétence collective pour identifier cette plus-value spécifique, portée par le groupe, dans une organisation. Elles ont abouti à une notion, dont les grandes lignes sont aujourd'hui stabilisées, et qui se définit comme un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être dont la combinaison au sein d'un groupe crée une synergie singulière. Celle-ci pourrait être ce qui fait la différence lorsque survient une crise qui, par ses turbulences, déstabilise brutalement un fonctionnement habituel. En parallèle, les disciplines des sciences humaines s'attachent à décrire toutes les facettes de ce que serait la crise contemporaine du collectif. La sociologie pointe la montée de l'individualisme, la perte du lien social, l'affaiblissement des repères qui cimentent les groupes sociaux. La philosophie s'est aussi saisie de l'idée en trouvant dans la modernité les racines de nos postures contemporaines. Même si d'autres propositions ont fleuri (postmodernisme, hypermodernité), le constat d'un lien étroit entre crise consubstantielle à la modernité -qui nous traverse depuis la fin du XVIIIe siècle-et fragilité du collectif reste fondateur. Un collectif, lui-même en crise, peut-il faire émerger et mobiliser des compétences utiles pour affronter une crise locale de type organisationnel ? Qu'est-ce qui ferait de la compétence collective une ressource nouvelle face à la crise, dès lors que celle-ci est structurelle ?